Le jeune réalisateur avait bien réalisé quelques courts métrages auparavant, souvent des exercices de style propres aux films d’étudiants, mais rien qui ne laissait présager la sidération de Mute N’ Play. Il convient d’ajouter que Luszezyszyn est l’un des premiers cinéastes émergents de l’école fondée par Luc Besson, dont on sait très peu de choses, hormis que la sélection d’entrée récompense l’audace, la débrouillardise et une propension à soulever terre et mer pour fabriquer des images.
Cette qualité est la première qui frappe le spectateur à la vision de Mute n Play. Soulever la terre, Luszezyszyn l’a fait littéralement (dans le jardin de sa mère, hilarante Nelly Luszezyszyn) pour creuser une tranchée de 14/18 et réaliser un court métrage de fiction digne des studios hollywoodiens, ou au moins ceux de la cité du cinéma de Besson.
Le film commence par la projection de ce court métrage qui laisse un goût étrange. D’un noir et blanc remarquable, le film s’étale sur une dizaine de minutes dans lesquelles une bande de soldats pacifiques et sans arme (et composée entre autre d’une petite fille) sorte une dernière fois sous le feu de l’ennemi pour marier deux d’entre eux.
La vision de ce film est perturbante parce qu’il mélange plusieurs tons, entre l’approche historique nostalgique et poétique (un peu toc) propre au cinéma de Jeunet et un montage rythmé d’images très clippées qui fait penser à une publicité pour l’armée de terre ou de médecin sans frontière (selon la sensibilité). On ne sait pas bien si on a affaire à un pastiche, une blague, ou une œuvre très premier degré réalisée par un mélange entre Spielberg et un CM2. Comme si Luszezyszyn donnait le bâton pour se faire battre, et tendre une perche aux détracteurs déjà prêts à chanter leur chanson « Comme le Maitre Besson, Luszezyszyn sait faire des images mais pas écrire de scénario ».
Mais voilà, il y a un loup. La filiation entre Luszezyszyn et Besson s’arrête là, parce que le premier a des choses que le second n’a pas : beaucoup d’honnêteté, d’humour et d’autodérision.
La seconde partie du film qui débute pendant le générique de la première, et qui devient, de fait, le vrai film, est un making of. Probablement scénarisée en partie, on y voit le jeune cinéaste s’acharner à réaliser son court-métrage avec ses petits moyens, son équipe de bras cassé et ses acteurs rongés par la jalousie.
Sur le tournage de Mute N Play, les costumes sont roses (le tissu est moins cher), le premier assistant (Aymeric Poidevin, très drôle en petit chef en slip, « parce qu’il a perdu un paris ») est un looser néophite que Luszezyszyn lui même méprise , la comédienne principale, pourtant sublime, est une remplaçante qui ne convainc personne, tandis que le chef décor manigance pour prendre la place de la tête d’affiche, cette dernière arrivant toujours en retard. Mais derrière ces fils narratifs prétextes, s’établit une poésie curieuse qui enchante, celle d’un tournage semi-professionnel, où les gens font et parlent tout comme si c’était un tournage très sérieux, un vrai travail, mais d’où ressort surtout l’image d’une trentaine d’individus qui jouent, avec beaucoup de passion et d’implication, à faire la guerre dans le jardin.
La puissance de ce double récit, court métrage/making of, c’est leur concordance : les petites lourdeurs du court-métrage introductif trouvent une réponse dans la suite qui dissèque la psychologie de ses créateurs. Mais si le procédé aurait pu être grossier, il fascine ici parce que le spectateur est perturbé d’un bout à l’autre par le désir de voir du réel dans ce qui s’apparente à une grande farce. Le ton curieux du court métrage, dont on ne sait pas bien si on doit rire avec l’auteur de la niaiserie affichée ou être inhibé par le sérieux avec lequel ce même auteur a fabriqué et monté ses images, déstabilise dès le début notre regard, et ce sentiment infuse tout le film.
Rigole-t-on parce que les blagues sont bien écrites ou parce qu’on est gêné pour eux ? Se prennent-ils au sérieux ou tout le monde a-t-il bien conscience d’être dans une farce ? On sait que Luszezyszyn n’avait pas mis au courant tout le monde de la supercherie, et qu’il y a une grande part de réel dans les évènements qui se déroulent sous nos yeux (La voiture calcinée est-elle vraiment un gag prévu?). Ce qui fait de Luszezyszyn un cinéaste fascinant, c’est qu’il accepte cette gêne, qu’il assume de se portraitiser lui même en réalisateur narcissique et mégalomane (il force le trait dans son jeu mais, au final, il a vraiment creusé une tranchée dans le jardin de sa mère !) en est un acte de foi.
La force et la drôlerie du film de Luszezyszyn est donc qu’il reste sur cette ligne de crête, celle de la génance, et c’est autant une déclaration d’amour aux débrouillards du cinéma, qu’une satire jubilatoire et affectueuse envers tout le monde des loosers du cinéma, ceux de l’antichambre, des courts métrages de festivals et de concours.
Fabien Luszezyszyn nous dit qui il est comme jeune cinéaste, dans la démesure, la débrouille affichée, l’innocence du discours, et l’autodérision. Et tout ce qu’on lui souhaite est de garder la ligne, même quand les sirènes du professionnalisme ne manqueront pas de lui siffler dans les oreilles, pour qu’il continue à nous proposer des œuvres aussi drôles, étranges, hors formats et sincères que celle-ci.
SNEG